dimanche 29 août 2010

Les larmes de l'assassin

Une bicoque, harcelée par les vents houleux, froids et sans pitié des hivers austraux, ou les étés secs, torrides de ces régions pdu bout du monde, tient et résiste aux forces de cette nature extrême. Un couple vit, chichement, de ce que la terre veut bien leur offrir. L'homme et la femme Poloverdo ont un enfant, un fils, sans vraiment être parents: certes, ils aiment leur fils, Paolo, mais sans chaleur, sans tendresse, de leur manière rustre, âpre comme la terre qui les nourrit jour apès jour. Paolo grandit, dans le silence des jours sans fin, sans côtoyer une autre école que celle de la vie pénible, simple et taiseuse de la campagne déshéritée de l'extrême sud du Chili. Paolo est malingre, petit, rabougri, presque sans âge, d'ailleurs, il ne connaît pas son âge.
Un jour, arrive un homme, grand, portant un gros sac sur l'épaule: il n'est pas comme les habituels étrangers, il ne semble pas être ni un scientifique ni un voyageur de l'extrême, ni un écrivain en mal d'inspiration. L'homme est inquiétant et apporte dans son sillage l'odeur âcre du malheur: il s'appelle Angel Allegria, il n'aime rien ni personne, il est aux abois, il fuit la justice des hommes car il a volé et tué son prochain...Angel est un assassin sans foi ni loi, une brute qui ne connaît que son instinct et la violence. C'est cet homme là que Paolo accueille et conduit auprès de ses parents; c'est cet homme là qui, d'un geste désarmant de naturel, tuera les parents de Paolo; c'est cet homme là qui restera aux côtés de Paolo, prenant en main les rênes du foyer. La vie continue sur ce bout de terre isolée, aride et pauvre: l'âpreté du quotidien ne laisse pas de palce aux sentiments et encore moins aux émotions, même quand on est un jeune garçon. Une relation peu ordinaire s'installe entre Paolo et Angel, entre le petit garçon et l'assassin de ses parents, entre l'agneau et le loup: ils apprennent à se connaître dans un étonnant silence, ils s'apprivoisent, s'habituent peu à peu l'un à l'autre, dans une ambiance irréelle où on se demande qui a le plus peur de l'autre. Alors que le duo improbable formé par Paolo et Angel se construit cahin caha, un deuxième homme frappe à la porte de la misérable bicoque, ballottée par les vents: ce n'est pas un scientifique ni un voyageur de l'extrême ni un assassin en cavale; c'est Luis Secunda, un voyageur qui n'a pas le courage de partir et qui vient se faire oublier au coeur de ce bout du monde. Il apporte avec lui un vent inconnu, celui de la poésie, de la magie des mots, celui d'un ailleurs ouvrant d'interminables horizons.
Les semaines, les mois passent, le trio prend la route pour renouveler le bétail dans la ville la plus proche...à plusieurs jours de marche. La ville, lieu de partance et d'errance, lieu de séparation du trio, dans la douleur de la trahison. La ville, lieu qui fera grandir Paolo, lui fera comprendre que l'homme est un immense mystère et un concentré de contradictions.
Anne-Laure Bondoux raconte une histoire protéiforme: la quête du remords et de la rédemption pour Angel, le roman d'apprentissage pour Paolo, l'aventure et l'amour pour Luis. Malgré leurs différences, les trois protagonistes sont intimement liés dans un cadre angoissant, celui d'un désert soufflant une solitude étouffante et écrasante: le lecteur s'attend, à mesure que la narration progresse, à un dénouement terrifiant tout en s'attachant à la personnalité surprenante d'Angel, ce tueur sans atermoiement qui réapprend le goût de vivre et d'aimer grâce à l'enfant qu'est Paolo. Il assiste à la naissance d'une rivalité entre Angel et Luis pour obtenir une place privilégiée dans le coeur de Paolo, rivalité étonnante car ces deux hommes se complètent et permettent à Paolo de cheminer vers la connaissance de soi et des autres.
"Les larmes de l'assassin" est un roman initiatique où la poésie est présente de bout en bout, où l'écriture ciselée de l'auteur apporte une dimension contemplative au récit et donne une force romanesque personnages, loin de tout manichéisme et empreint d'incessants questionnements. L'émotion étreint la gorge à un moment où le lecteur ne s'y attend pas, lorsque Paolo et Angel rencontre Ricardo, un bûcheron mélomane et solitaire qui accueille leur errance et leur désarroi avec chaleur et tendresse. Une lecture qui vous happe et ne vous lâche qu'à la dernière phrase!

Merci Brigitte et Titouan pour cette très belle découverte!

3 commentaires:

liliba a dit…

Intéressant ! C'est pour quel âge ?

Katell a dit…

@liliba: dès le CM2 pour un jeune lecteur aguerri sinon âge collège.

sylire a dit…

J'avais beaucoup aimé ce livre aussi passionnant pour les adultes que pour les ados (je ne sais pas si je le conseillerais à un enfant de 10 ans, ceci dit. Peut-être un peu traumatisant pour un jeune enfant, non ?)